Quelques gouttelettes sur une masse d’eau en perturbent la surface depuis d’infimes points qui se dispersent et créent des houles. Les lignes qui s’y dessinent deviennent souples : elles vibrent et se meuvent. Elles retracent des possibles que l’on aurait pensé fixes, rigides et éloignés, et qui en un instant d’instabilité sont venus se toucher, se mêler. Revoir cette linogravure de M. C. Escher depuis l’intérieur de cette pandémie permet d’appréhender les possibles impensés mis en vibration, en existence, déplacés par l’événement que nous vivons.
Nous souhaitons activement mettre en perspective cette opportunité au sein de nos propres pratiques et sphères d’influence. Cette réflexion sur l’opportunité de changement s’adresse, dans ce temps de pandémie sans précédent, à l’ensemble de nos amis collègues, clients, partenaires – des entrepreneurs, des business leaders, des chefs d’entreprise.
On ne parle point des changements forcés ou prudents directement liés à la conjoncture nommée, tels que de contrôler plus que jamais la trésorerie, de tenir le cap, de ralentir ou d’accélérer certains projets, de protéger nos collaborateurs, etc. Nous parlons ici de disruptions substantielles : de changements plus profonds et primaires pour la prospérité future de nos entreprises. Entendons les changements de stratégie, d’orientation, de structure-organisation, des fondamentaux de l’entreprise en somme… ceux-là qui sont toujours reportés.
Malgré notre conscience du besoin de matérialiser ce type de changements - profonds, parfois radicaux - nous ne trouvons jamais le bon moment, le point d’appui, ou encore le bon argument pour y accéder ; ne serait-ce que pour ne pas contredire ce que nous avons précédemment - ou même récemment, affirmé et défendu face à nos investisseurs, à nos associés, à nos boards ou à nos équipes…
Tout comme il est chaotique de tenter de transformer une route en pleine circulation, des tels changements d’entreprise se font plus facilement pendant des périodes de mise en suspens. La crise catalysée par le SARS-Cov 2 a ouvert des tels espaces d’opportunité.
Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie, déclarait en ce début de pandémie de ne pas laisser cette crise se gâcher. L’apport d’énergie dans et par la crise actuelle a été - et reste - d’une immense amplitude. On ne peut effacer le cataclysme, mais on peut, et on devrait, d’une part attacher de la force à réduire la magnitude de ses effets pernicieux. D’autre part, s’attacher à appliquer sa force dans les directions où les changements sont nécessaires.
Il s’agit donc ici de canaliser l'inertie pour la transformer en atout.
Les crises constituent des circonstances idéales pour opérer des changements : un ‘éclipse viral’ comme une fenêtre pour réévaluer la structure dans sa substance et sa pertinence première, initiale.
Tout changement, quelle que soit sa magnitude, requiert d’un apport d’énergie pour vaincre l’inertie à ne pas changer, c’est la condition de dépassement de son seuil d’activation. La magnitude de ce seuil étant assez souvent en relation directe avec la magnitude du changement souhaité.
Le dépassement du seuil d’activation comporte un coût politique : il nécessite de la construction et de la mise en avant d’une justification (réelle ou apparente) qui nous permette de consensuer notre volonté de changement avec les parties prenantes.
Le dépassement du seuil d’activation est aussi un appel à notre leadership : à notre capacité à saisir et porter une initiative, à prendre des décisions, convaincre et mettre en avant les bonnes raisons qui justifient ou qui demandent cette transformation.
Le seuil d’activation est grandement aplati par la pandémie.
La magnitude, dans sa profondeur et sa globalité, et la multi-dimensionnalité de la crise que nous traversons - médicale, sociale, économique, institutionnelle, politique, est à même de bouleverser les comportements, les structures, les institutions.
Le monde s’en trouve déjà changé et ne sera pas le même une fois que cette crise sera passée. Nos marchés (financiers ou industriels) ne seront pas les mêmes non plus : leurs expectatives, leurs priorités, leur réactivité, leurs exigences auront certainement changé. Si nous rations cette conjoncture pour effectuer, dès maintenant et avant notre ‘retour sur scène’, les changements de nos fondamentaux d’entreprise, ceux qui ont été longuement souhaités mais toujours reportés, nous aurons beaucoup moins de marge de manœuvre pour changer par la suite. L’occasion aura été ratée.
Dans un tel cadre, toute prise d’initiative pour construire des fondamentaux plus utiles et résilients, aussi radicale soit-elle, sera bienvenue (et bien vue) car elle contribuera à assurer la survie, le redécollage et le développement de l’entreprise. Tous ne seront pas frileux. La proactivité catalysée par cette crise sera sans aucun doute intrépide et importante. Ne pas se renouveler reviendrait à être forcé à un changement à partir de critères non choisis. Cela revient à dire ne pas se donner l’espace d’établir des critères propres à l’orée de la reconstruction d’ensemble qui sera à faire. Engager son entreprise dans une résilience positive contribuera à celle de l’ensemble du système. Elle est donc nécessaire, plus que jamais.
Le secret du changement, c’est de concentrer toute son énergie non pas à lutter contre le passé, mais à construire l’avenir.
C’est pendant ce temps d’activité ralentie par la soustraction du tourbillon quotidien qui domine dans les temps ‘normaux’, permettant la prise de perspective réflexive, que nous devons, avec clarté, prestance et célérité, dessiner et implémenter notre rénovation.
Donnons-nous le temps de définir, de paramétrer et qualifier la transition qui nous concerne. Planifions précisément les étapes dans son implémentation et anticipons les impacts, mesurons les ressources nécessaires.
Entourons-nous d’un cercle d’alliés, parmi nos collaborateurs qui partagent l’initiative. Ils nous aideront à formaliser puis implémenter le changement recherché. Et surtout, prenons du courage et une détermination inébranlable : c’est une tâche à faire définitivement et maintenant est le moment parfait pour le faire. D’autant plus que le retour sur scène demandera d’être énergisés, rapides et réactifs pour assurer un décollage gagnant. Il faudra être adapté et cohérent avec le nouveau paysage.
Et pourquoi ne pas viser au plus loin pour faire basculer nos secteurs d’activité vers un changement plus profond, qui nous permettrait de bouleverser l’état du présent et construire un nouvel avenir pour nos entreprises. Le changement, c’est visionner l’avenir et agir de la sorte. Mettant toute notre énergie dans la construction de cet avenir nouveau.
Nous avons tous des cibles que nous souhaitons dépasser, profitons.